Rencontre impromptue [PV Minuit] - Terminé

Après avoir profité du soleil de ce moi d'avril, je rentrai à l'Academy, où j'avais trouvé refuge après avoir quitté ma mère, d'un pas convaincu. Je bifurquai à ma gauche, me retrouvant dans une petite venelle qui menait droit à un cul de sac.

Zut de zut, je me suis encore trompée! Quelle gourde je fais, je ne suis même pas fichue de retrouver mon chemin!

Décidément, c'était bien ma veine! Je m'étais une fois de plus perdue dans les dédales que constituaient les ruelles de Démonitra. N'étant qu'une nouvelle fraîchement débarquée des Etats-Unis, je ne connaissais pas encore l'endroit comme ma poche et je faisais preuve d'une facilité déconcertante pour m'égarer. Je portai mon regard sur le ciel qui se parait peu à peu de couleurs rose-orangé, témoins d'un nouveau jour qui touchait à sa fin. Agacée par ma sottise et mon non-sens de l'orientation, je jetai un coup d'œil à ma montre clinquante, seul cadeau que j'avais conservé de ma mère. Les chiffres digitaux m'indiquaient 20 heures. Il fallait que je me hâte si je ne voulais pas passer la nuit dehors. L'Academy Psychic fermait effectivement ses portes aux alentours de 20 heures trente. Seul un numéro de charme esquissé avec brio à l'intention du vieux concierge me permettrait d'y pénétrer après l'heure fatidique.

Magne toi Théa.

La peur me gagnait petit à petit, s'emparant de chaque parcelle de mon corps. Je savais, puisqu'on me l'avait assez répété, que les rues de cette ville étrange n'étaient guère fréquentable de nuit. De plus, je n'avais aucun moyen de me défendre et une jeune femme de ma carrure était une proie on ne peut plus facile pour tous les détraqués que l'on pouvait rencontrer.

Tandis que je faisais volte-face, réajustant mon sac sur mes épaules, je heurtai de plein fouet une silhouette féminine aux allures de top model et à la démarche aussi légère et fluide que celle d'un félin. Lorsque nos deux corps entrèrent en contact, mon don se manifesta.

Sang. Soif.

Je secouai la tête, en proie à la nausée que me conférait chaque nouvelle utilisation, volontaire ou involontaire de mon pouvoir. Ma tête tournait tandis que ma vision se faisait trouble. Je m'adossai au mur, tentant vainement de retrouver mes esprits.

"Merci encore, et au revoir."

Je quittai l'établissement en refermant doucement la porte derrière moi. Un sourire niais s'était dessiné sur mon visage tandis que je descendais tranquillement les escaliers menant à la ruelle. Je venais d'avoir un entretient avec le directeur de la Psychic Academy, pour savoir s'il serait disponible pour me faire visiter les lieux, un de ces jours. Cette école m'intriguait depuis un moment déjà. Des humains dotés de capacités psychiques assez spéciales ? Ça promettait d'être intriguant. Le directeur s'était au départ montré réticent; en temps normal, il ne jouait pas le guide, surtout qu'il n'avait aucune preuve que j'étais le genre de personne qu'ils recherchaient - je ne l'étais pas, d'ailleurs. J'imagine que mon charme naturel ainsi que mon insistance ont fini par le faire céder ! Je tenais absolument à voir ces jeunes en action. Peut-être pourrais-je, à un moment donné, en prendre un sous mon aile. Vous savez, un genre d'assistant inférieur, mais toujours utile...

Mardi prochain était la date que nous nous étions fixée.

En attendant, j'avais du boulot, un club de nuit à entretenir. Je levai la tête vers le ciel désormais assombri: il devait être près de vingt heures. J'avais tout mon temps pour flâner, de toute façon je n'avais pas beaucoup de chemin à parcourir. J'ouvre normalement le Hellfangs à vingt-et-une heure, et les habitués arrivent quelques minutes plus tard. Ce que j'aimais de cet endroit, c'était le fait que tous les gens s'y trouvant n'avaient aucunement besoin de cacher quoi que ce soit. Ce qui se passe au Hellfangs reste au Hellfangs...

J'avançais lentement, à moitié plongée dans des pensées sans grand intérêt. L'autre moitié de mes fonctions mentales, elle, se souciait de la sensation d'assèchement qui commençait à naître du fond de ma gorge jusqu'à l'entrée de ma bouche. Ah oui, j'avais presque oublié que je n'avais rien pris depuis bientôt vingt-quatre heures. Le goût de l'hémoglobine me manqua soudainement. J'avais un peu moins de soixante minutes pour me trouver un repas de choix. Discrètement, ma langue passa sur mes lèvres, tentant de les humidifier un peu. Mmm, l'heure du repas était arrivée !

Je tournai donc un premier coin de rue, mon corps étant tout excité par la partie de chasse qui allait suivre. J'adore traquer mes victimes avec soin; je joue avec, je les laisse courir, puis couic. Tout en laissant mes jambes me guider, je me mis à réfléchir à toute sorte de stratagèmes pour m'offrir un dîner de choix. Ce ne fut pas long toutefois avant que je fonce dans une silhouette féminine assez menue. Oh, pendant un moment j'avais oublié de porter mon attention sur ce qui m'entourait...

"Oups, pardon" m'excusai-je.

Je levai alors les yeux vers le visage de la jeune fille. Elle avait l'air déboussolée, elle chancelait même un peu. Après quelques secondes, elle s'adossa sur le mur qui se trouvait à côté, tentant de reprendre ses esprits. Je la dévisageai un instant, mes yeux azurés tentant de lire son expression faciale.

"Je ne vous ai pas blessée j'espère ?" murmurai-je enfin.

Je me savais plus forte, mais quand même. J'étais dans la lune et je marchais aussi rapidement qu'une tortue... L'impact n'avait pas pu être si fort que ça !

La jeune femme qui se trouvait devant moi me présenta ses excuses, cependant, j'avais bien du mal à les discerner dans le brouhaha incessant de mon esprit. Mes oreilles s'étaient effectivement mise à bourdonner et mes jambes devenaient aussi molles que si elles avaient été constituées de coton. Je m'agrippai aux pierres apparentes de la vieille bâtisse qui faisait l'angle de la ruelle, m'y accrochant telle une naufragée à sa bouée de sauvetage. Je sentis ma nouvelle connaissance s'approcher de moi, cependant que je reculai, n'étant guère rassurée et convaincue par les mots que m'avait livrés son esprit. Je bredouillai à son interrogation quelques excuses, ne souhaitant pas passer pour une impolie.

"Ce n'est... rien, je... c'est également de ma faute..."

Je reprenais petit à petit conscience de l'environnement et dépliai mes poings qui s'étaient fermés deux même, tandis que j'essayai de contenir le flot d'informations qui avait atteint mon cerveau. Celui-ci était encore quelques peu engourdi par une si soudaine attaque extérieure.

"Je ne vous ai pas blessée j'espère?"

Je secouai la tête de droite à gauche, laissant osciller mes longs cheveux auburn. J'essayai de mettre en lien les deux mots que j'avais perçus et la jeune femme qui se tenait devant moi.

Soif, oui elle avait peut-être soif, mais cela n'aurait pu constituer un secret inavouable, à moins que ce ne soit une ivrogne. Sang, peut-être avait elle assisté à un meurtre ou travaillait-elle dans une section spéciale de la police et possédait une quelconque identité secrète. Soif... de sang? Je n'osai pas associer ces deux mots ensemble, ce qui aurait signifié que je me trouvai face à une criminelle psychopathe, dans une ruelle sombre, alors que tous les gens censés qui auraient pu me venir en aide étaient confortablement installés dans leurs fauteuils.

Je ne bougeai plus, me représentant mentalement les possibilités qui s'offraient à moi. Celles ci me semblaient très réduites: entamer la discussion et essayer d'en apprendre plus sur elle ou détaler à toutes jambes comme un lapin?

J'optai pour la première option, affichant un sourire chaleureux sur mes lèvres fines.

Peut-être aura t'elle pitié de moi ainsi!

Je lui tendis ma main blanchâtre et me présentai.

"Veuillez m'excuser de mon impolitesse, je me nomme Anthéa Lillian, je dois vous avouer que je me suis perdue. Pourrais-je connaître votre nom?"

Lorsque nos deux mains se rencontrèrent, des autres mots m'apparurent, puissants.

Danger. Éternité.

L'inconnue me rassura d'un signe de tête qu'elle allait bien. Je haussai un sourcil sans dire un mot. Je voyais bien que son teint, à peine éclairé par le lampadaire plus loin, était aussi blafard que celui d'un enfant écoutant une histoire de fantôme. Comme pour me prouver qu'elle allait bien, elle se redressa maladroitement en souriant. Puis, elle me tendit la main, se présentant.

"Veuillez m'excuser de mon impolitesse, je me nomme Anthéa Lillian, je dois vous avouer que je me suis perdue. Pourrais-je connaître votre nom?""

"Petite fleur de printemps..."

Tout en prononçant ces mots, je lui souris à mon tour. Elle connaissait certainement la signification de son prénom. Je poursuivis ensuite pour terminer de répondre à ce qu'elle venait d'annoncer. Car paraissait-il qu'elle s'était perdue. Il est vrai que les rues de cette cité peut parfois former ce qui ressemble à un labyrinthe !

"Je pourrais t'aider si tu veux, je connais cet endroit comme le fond de ma poche."

C'était une affirmation véridique; je rôdais presque chaque nuit dans les dédales de Daemonitra. Me voilà donc qui proposait mon aide à une jeune brebis égarée pendant que mon système entier réclamait profondément sa substance chaude et appétissante, sa drogue, son essence de vie. Je sentis même pour une fraction de seconde mes crocs s'allonger à l'intérieur de ma mâchoire fermée. Mais cela ne dura pas longtemps; je me sortis rapidement de ma transe. Je secouai discrètement la tête et passai une main dans mes cheveux aile-de-corbeau dont la lune faisait ressortir leurs reflets bleutés. Non, je n'allais pas m'attaquer à cette pauvre petite personne. Trop maigre, trop innocence, et trop facile. J'avais encore assez de force pour chercher un peu plus. Il fallait toutefois me dépêcher, pour rentrer dans mes temps.

"Bon, que cherches-tu ? Je t'y accompagne de ce pas."

Je rapprochai encore un peu plus d'elle pour lui montrer que j'étais prête à partir dès qu'elle me dirait quelle était la destination prévue. J'allais la raccompagner gentiment, puis chercher un homme de taille, et enfin rejoindre mon club.

Ah, et avant d'oublier, je répondis aussi à sa question.

"Ici, on m'appelle Minuit."

C'était ainsi qu'il m'appelait. Mon petit soleil de minuit...

"Je pourrais t'aider si tu veux, je connais cet endroit comme le fond de ma poche."

Après tout, mon don s'était peut-être révélé inexact, mes pensées avaient peut-être été faussées par l'environnement glauque dans lequel nous nous trouvions. J'avais effectivement l'impression d'être la jeune victime aussi innocente et blanche que l'agneau qui vient de naître, et de jouer le rôle principal d'un mauvais film d'épouvante. Les lampadaires se trouvant non loin de là conféraient à la scène une atmosphère étrange, étouffante en quelque sorte. Pressée de sortir de cet enfer dans lequel je m'étais enfoncée seule, j'acceptai sans demander mon reste l'aide de mon interlocutrice. Le tutoiement avait fusé, naturel, ce qui ne m'avait aucunement déboussolée et m'avait plutôt mise à l'aise. Elle semblait si sure d'elle lorsqu'elle m'annonça pouvoir s'y retrouver sans peine dans les dédales de ruelles de Deamonitra que je lui fis immédiatement confiance, reléguant au second plan les mots que m'avait livrés mon don.

"Bon, que cherches-tu ? Je t'y accompagne de ce pas."

Je réfléchis quelques secondes avant de lui servir ma réponse. Je me questionnai à savoir si elle allait s'affoler lorsque je lui confierai ma destination précise. La jaugeant tandis que nous nous mettions en route, je me dis qu'elle avait l'air d'en savoir beaucoup plus que je ne le pensais concernant les choses étranges qui se déroulaient en cette ville. Je repris contenance, m'échappant de mes méditations métaphysiques avant de lui annoncer ma destination.

"Je dois me rendre jusqu'à l'Academy Psychic. Peux-tu m'y conduire?"

J'attendais sa réaction, quelque peu anxieuse de découvrir celle-ci tandis que nous quittions les ténèbres de la ruelle. Les passants se faisaient rares à cette heure avancée de la journée.

Je tentai de m'empêcher de rire lorsqu'elle m'annonça qu'elle devait se rendre à la Psychic Academy. À la place, je souris de plus belle. À croire que quelqu'un venait tout juste d'entendre les pensées qui s'étaient manifestés dans mon crâne quelques minutes plus tôt !
La jeune fille me demanda alors si je pouvais l'y conduire.

"Bien sûr."

Sur ces mots brefs, je fis demi-tour et nous commençâmes à marcher vers le bâtiment. Il n'était pas bien loin de l'endroit où nous nous trouvions à cet instant, mais l'obscurité des lieux n'aidaient pas à l'orientation des mortels, surtout lorsqu'ils passaient pour la première ou la deuxième fois. D'ailleurs, ma réponse claire et plutôt neutre avait dû la surprendre, bien qu'elle n'en montra aucun signe. Si elle s'était découvert un don, elle devait bien s'attendre à des réactions étranges si elle avouait se rendre à cette académie. Mais le truc, c'est que ce genre de chose était encore loin d'être étrange à mes yeux. La distance qu'il nous restait à parcourir n'était plus bien grande et j'aurais pu laisser Anthéa poursuivre seule son chemin. J'imagine que la flamme de bonté qui s'était tantôt allumée en moi avait décidé qu'elle ne s'éteindrait pas tout de suite. Du coup, j'engageai à nouveau la conversation.

"Tu t'y es inscrite récemment ?"

Je prenais pour acquis qu'elle y vivait désormais. Parce que selon moi, une ancienne ne se serait pas perdue à deux-trois rues de là, et une visiteuse aurait plutôt fait sa visite durant le jour.

Pendant ce temps, ma soif de sang s'était tranquillisée.
Il suffisait de m'occuper un peu plus l'esprit pour que je puisse oublier cette sensation toujours aussi désagréable même après 600 ans.

Minuit ne sembla aucunement surprise par la réponse que je lui avais fournie et accepta sans peine de me raccompagner jusqu'à mon lieu de résidence. J'avais retrouvé ma confiance en moi et ma jovialité habituelle au sortir de la ruelle sombre. J'essayai tant bien que mal de suivre Minuit, mais celle-ci avançait d'une démarche rapide. Étant donné que je me trouvai à quelques pas derrière elle, je pus l'observer plus amplement. Je ne m'étais pas trompée sur la nature de sa démarche, celle-ci se faisait souple, coulante et silencieuse. Elle ne ressemblait pas à la plupart des citadins que j'avais jusqu'à lors rencontrés. Une partie d'elle-même m'apparaissait sauvage. Elle était comparable à une lionne à l'affût, prête à bondir à tous instants. Elle me fascinait. Je faisais pâle figure à côté d'elle, moi qui n'étais qu'une Psychic novice dotée d'un don pour le moment indomptable, d'une carrure si svelte que tous ceux avec qui je m'étais lié d'amitié avaient peur de me briser en deux lorsqu'ils chahutaient avec moi. Minuit se rappela à mon bon souvenir en m'interrogeant sur le temps de mon séjour à l'Academy.

"Euh oui, je n'y suis inscrite que depuis deux semaines, tout au plus."

Je m'autorisai alors à la questionner à mon tour, curieuse d'en apprendre plus sur sa vie à elle.

"Tu connais bien cet endroit?"

J'étais tellement absorbée par mes pensées que je ne remarquai pas qu'elle avait ralenti l'allure, si bien que je la percutai. Une sensation déroutante et nouvelle pour moi m'apparut. Cette fois ci, ce n'était plus un mot en provenance de son esprit, de son secret qui fut projeté dans le mien, mais bien une image. Celle de deux canines luisantes et proéminentes. J'eus le souffle court, effrayée par ce que je venais d'entrevoir.

Qui diable est elle?

Je m'arrêtai quelques instants, mes jambes flageolant et ma respiration se faisant heurtée. Je passai une main fébrile dans mes cheveux auburn, en proie à l'indécision et à la peur.

J'avais visé juste, c'était une petite nouvelle. Comme elle avait été admise à cette école, je me demandais ce qu'elle était capable de faire. Je n'osai cependant pas le lui demander tout de suite, préférant attendre encore un peu. En attendant, ce fut à son tour de vouloir en savoir plus à mon sujet. Anthéa me demanda donc si je connaissais bien cet endroit. Évidemment, elle avait remarqué que je n'avais aucune difficulté à me situer dans ce quartier. En fait, je pouvais me situer dans chaque coin de la ville que j'avais déjà visité. Vive ma mémoire et mon sens de l'orientation qui n'ont rien de très surnaturel.
J'essayai donc de lui répondre aussi naturellement que possible.

"Je viens souvent par ici. Et puis je sortais tout juste du bureau de ton directeur."

En répondant, j'avais ralenti la cadence. Anthéa se trouvait quelques pas derrière moi, ce qui ne devait pas être très pratique pour engager une vraie discussion. J'aurais peut-être dû la prévenir, car elle ne s'aperçut probablement pas que je m'étais presque arrêtée... et elle me percuta.

"Tu es sûre que tout va bien ?"

Je la regardai un peu de travers, amusée par cette maladresse. C'était quand même la deuxième fois en moins de dix minutes xD.
Mais à y réfléchir, était-elle vraiment maladroite ou c'était dû au fait qu'une chose la préoccupait ?

"Je viens souvent par ici. Et puis je sortais tout juste du bureau de ton directeur."

Cette phrase déclencha une alarme rouge au sein de mon esprit. Je réussissais enfin à mettre le doigt sur le fait qu'elle n'ait été aucunement surprise lorsque je lui avais annoncé ma destination. Elle semblait tremper plus qu'il n'en paraissait dans les affaires un peu étrange. Enfin, tout en elle clamait son étrangeté. Elle était différente, cela n'en faisait aucun doute. Était elle également une Psychic, ou doté d'un quelconque don? Je ne l'avais pourtant jamais croisée dans les couloirs de l'Academy, donc cette hypothèse était hautement réfutable. Mon cerveau tournait à plein régime et, si l'on s'était approché très près de mon crâne, on aurait pu en entendre grincer les rouages.

Lorsque perdue dans mes pensées, je la percutai, la vision qui s'offrit à moi était tout à fait différente de celles que j'avais eues auparavant. Elle était plus réelle, plus choquante, mais également plus vivace. Etait-ce du au fait que j'avais à faite à une jeune femme bien différente de l'espèce humaine?

"Tu es sûre que tout va bien ?"

Je me reculai, essayant de mette le plus de distance possible entre ma nouvelle connaissance et moi-même. Cependant, je fus arrêtée par le mur d'un magasin d'apothicaire aux allures de bâtisse du film Harry Potter. Décidément, cette ville était en train de me rendre folle. Tout semblait si étrange, si nouveau, si déroutant. Je me flagellai mentalement pour l'idée géniale qui m'avait poussée à m'y installer. Mais au juste, n'étais pas moi-même différente? N'était-ce pas pour trouver un refuge et rencontrer des gens, qui, tous comme moi, étaient doués d'un quelconque talent? Je réprimai tant bien que mal les tremblements qui agitaient mes membres et plantai mon regard dans celui, azur, de Minuit.

"Qui es tu? Ou plutôt qu'es tu?"

Son secret, celui qu'elle dissimulait aux yeux de tous, je sentis qu'il allait bientôt se livrer à moi comme une personne perturbée se confie à son psy. Je jouais à ce moment même le rôle du psy, il fallait que je gratte, que je creuse sous la surface pour apprendre enfin qui elle était. Je fermai les yeux, concentrant tous mes efforts à la saisie de cette information, comme on me l'avait enseigné à l'école.

Vampire.

"Vampire."

Au moment où il m'apparut, je le prononçai. Cela semblait m'avoir épuisée, vidée de toutes mes forces. J'attendis désormais la mort qui, je l'espérai, viendrait vite, m'évitant toute souffrance.

Étrangement, Anthéa ne réagit pas de la manière dont je l'avais imaginée. En fait, elle n'allait pas bien. Après le léger choc, elle recula de quelques pas, et le mot "peur" s'était inscrit sur les pupilles de ses yeux. Je soupirai, n'arrivant pas à comprendre ce qui lui arrivait. Lorsque je voulus me rapprocher d'elle, elle se repoussa encore plus, jusqu'à ce que son dos heurte les briques d'un vieux magasin. Si je me serais concentrée, j'aurais peut-être pu sentir que son cœur était sur le point de déchirer sa poitrine; néanmoins je ne pris pas immédiatement sa panique au grand "sérieux", pas assez en tout cas pour remarquer que c'était de moi qu'elle avait peur. Je me disais qu'elle avait probablement vu une ombre effrayante, ou je ne sais quoi, qui serait dangereux pour deux filles de "notre" âge.

"Ça va, on arrive, tout ira bien dans quelques minutes."

Je tentais de la rassurer, en vain. C'est après avoir sorti cette phrase qui se voulait bien gentille que je compris ce qu'il lui prenait. Elle me demanda:

"Qui es tu? Ou plutôt qu'es tu?"

Qu'elle demande "qui es-tu", d'accord. Mais elle avait rajouté un "qu'es-tu"... Savait-elle donc ? Savait-elle que je n'étais pas, contrairement à elle, une humaine dotée de facultés ? Que je n'étais plus de cette race, que j'étais morte depuis des siècles ? Comme pour répondre à ma question, un dernier mot fusa.

"Vampire."

Immédiatement, je m'immobilisai. C'était la première fois que je rencontrais quelqu'un qui avait soulevé mon voile aussi rapidement. En même temps, elle était psychique, ça pouvait se comprendre. Lisait-elle dans les pensées ?
Je ne savais pas trop si je devais bien réagir ou non. En fait... si nous devions, dans le futur, devenir "amies", ça m'évitait la tâche de le lui avouer moi-même, non ? Je pourrais aussi la croquer, ne jugeons pas un fruit par son emballage. Et finalement, j'avais aussi le choix de faire genre "Mais t'es folle, qu'est-ce qui te prends ??". N'ayant pas tellement envie de jouer la comédie, j'annulai la dernière option. Mmh... Elle était si effrayée ! Si je décidais de m'y attaquer, elle mourrait probablement d'une crise cardiaque avant que je ne la touche T.T

Je me mis à rire. Mais le son qui sortit de ma bouche n'était pas un ricanement machiavélique. Je ne fis que rire, simplement, d'un rire doux qui caresse les tympans. Puis, je répondis, la regardant droit dans les yeux.

"Arrête d'avoir aussi peur, je ne te toucherai pas. Si tu lis bien dans mes pensées, tu sauras que c'est vrai."

Mon interlocutrice essayait de me rassurer avec de bonnes paroles, geste dérisoire quant à l'état dans lequel je me trouvais à présent. Mon estomac se tordait en un nœud infernal, j'avais la nette impression que la peur qui s'était emparé de mon corps allait me faire rejeter mes tripes d'un instant à l'autre. Je plaçai une main sur mon ventre, espérant ainsi retenir le flot de sentiment qui jaillissait de celui-ci.

Alors que je laissai s'envoler les mots, Minuit s'immobilisa, buvant mes paroles comme un malheureux déshydraté boirait à la source de jouvence si elle lui était offerte en plein désert. Je fermai les yeux quelque secondes, plissant mon nez et mes sourcils dans un rictus affolé. J'étais prête à recevoir mon du, essayant de visualiser ma vie toute entière comme je l'aurais fait en appuyant sur la touche retour rapide de mon magnétoscope.

Pourtant, contre toute attente, je n'eus pas le loisir de profiter d'un bain de sang ou d'une taillade aux canines. La jeune vampire, puisqu'elle s'avérait bien faire partie de cette race, laissa tinter un rire cristallin. J'ouvris mes yeux et me pinçai discrètement l'avant bras afin de vérifier si je ne rêvais pas.

Se moque-t-elle de moi? Ainsi, c'est son jeu, c'est de cette manière qu'elle fonctionne, elle affole ses proies et finit par se jouer d'elles avant de les déguster paisiblement à l'ombre d'une tombe au cimetière du coin?

Je me leurrai, en témoigna l'affirmation qui suivit.

"Arrête d'avoir aussi peur, je ne te toucherai pas. Si tu lis bien dans mes pensées, tu sauras que c'est vrai."

Je me redressai péniblement, tentant de retrouver un semblant de contenance et de crédibilité. Ma voix n'était alors qu'un murmure, hésitante. Néanmoins, je laissai transpercer une pointe d'humour dans celle-ci afin d'évacuer la tension qui m'avait étreinte.

"Je... Oh que non! Il m'est déjà bien assez difficile de découvrir les secrets de chacun! Je ne supporterai donc pas de vivre une seule seconde en connaissant les moindres pensées intimes de mes interlocuteurs!"

J'osai enfin affronter son regard, ayant repris confiance en moi. Ses intentions me semblaient plus pacifiques à présent. Il y avait de grandes chances pour que je ne sois pas son dîner ce soir.

Aussitôt ma phrase fut-elle prononcée que la jeune Anthéa essaya tant bien que mal de reprendre de l'assurance. Dans un murmure encore craintif, elle m'expliqua sur un ton plutôt léger que je me méprenais, qu'entrer dans la tête des autres êtres vivants ne faisait pas partie de ses facultés. En réalité, elle avoua pouvoir receler les plus profondes cachettes des âmes, découvrir les secrets enfouis. N'ayant jamais entendu parler d'une capacité telle que la sienne, ma curiosité ne fut alors satisfaite qu'à moitié. J'avais encore plusieurs questions à lui poser avant de pouvoir combler mon manque de réponses. Étant civilisée, je ne balançai pas le paquet d'un seul élan, pour ne pas paraître trop indiscrète et pour ne pas non plus qu'elle en soit étouffée.

"Donc... Il te suffit d'entrer en collision avec quelqu'un pour que ça se déclenche ? Chouette !"

J'avais choisi de commencer par cette petite remarque à moitié ironique. J'avais remarqué juste avant sa phrase qui se voulait un peu plus humoristique et je continuai sur le même ton. Mais à vrai dire, il était parfaitement probable que j'aie raison; j'avais cru comprendre qu'elle ne maîtrisait pas tout à fait son don, ce qui expliquerait le fait que les deux états de confusion dans lesquelles elle avait plongé soient apparus suite à nos chocs.

Nous reprenions notre route, marchant côte à côte sur le trottoir encore propre de la ville. Je pressentis que ce dernier ne le resterait pas longtemps. Il avait effectivement tendance à être souillé, à la sortie des bars et des boîtes de nuit, par de nombreux immondices, tels des débris de verre, ou des restes du dîner de ceux qui avaient consommé trop d'alcool et d'autres substances illicites. Je regardai mes pieds foulant ce territoire encore vierge, tandis que Minuit m'interrogea quant à la manifestation de mon don. Je relevai la tête, plutôt embarrassée car ne sachant pas moi-même très bien si cela s'était produit à cause de notre rencontre brutale.

"Euh... je ne suis pas sure que cela soit aussi simple que cela. Pour tout te dire, je ne sais pas moi-même comment se déclenche mon pouvoir. La première foi que mon don s'est manifesté, j'avais environ 16 ans. Je discutais avec ma meilleure amie et j'ai perçu le nom de mon petit-ami. Au départ, j'ai pensé qu'elle l'avait elle-même prononcé à voix haute et je lui ai demandé de répéter. Elle avait l'air de m'avoir prise pour une folle!"

Je ris à cette pensée, tout cela était bien loin désormais.

"C’est alors que j’ai perçu d’autres mots qui semblaient tout droit émaner de sa personne : Nuit. Coucher. Hugo. Tromper. M'en vouloir. Secret. Alors, j’ai tout compris, mon petit-ami m’avait trompé avec ma meilleure amie. Voilà, c’est de cette manière que tout a débuté. La seconde fois que j’ai utilisé mon pouvoir, cela a été de mon plein gré, je me suis forcée à découvrir ce que me cachais ma mère."

L'émotion était poignante dans ma voix. Cette discussion réveillait en moi des souvenirs peu agréables.

"J'espère ne pas t'avoir ennuyée avec cette histoire."

Je crus pendant un moment qu'avec ma remarque qui se voulait tout à fait inoffensive, j'avais, pendant un moment, replongé Anthéa dans des souvenirs enfouis qu'elle aurait peut-être préféré oublier. Mais lorsque je l'entendis me dévoiler son histoire, je me dis que peut-être était-je la première personne ou presque à qui elle la racontait. Il y avait tant d'émotion humaine dans sa voix... Je compris que ça n'avait pas dû être facile pour elle.
Je l'écoutai parler du début à la fin, sans l'interrompre une seule fois. Nous avions dépassé la porte d'entrée de l'Academy, mais je me promis de la raccompagner au moment où nous allions devoir faire demi-tour. Je ne m'autorisai des remarques uniquement quand elle eût terminé de parler. Je devais avouer que cette fille avait un petit quelque chose de remarquablement spécial. Nan, son petit récit ne m'avait pas du tout ennuyée !

"Bien sûr que non. Ça n'a pas du être facile pour toi."

Je me fermai la bouche un instant, hésitant a poursuivre. J'avais une petite proposition à lui faire. Mais, était-ce le bon moment ? Pour moi ce l'était, mais elle avait l'air si pressée tout à l'heure qu'il était possible que je ne fasse que la ralentir. Je réfléchis rapidement, puis décidai de lancer mes paroles. Qui sait si je ne serais pas merveilleusement tombée sur la bonne personne ! Je m'arrêtai, me tournant complètement vers elle.

"As-tu quelque chose chose d'important à faire ce soir ?"

Un sourire sincère de dessina sur mes lèvres et je lui fis un petit clin d'oeil.
Oui, j'allais l'inviter pour ce soir.

Minuit écoutait mon récit avec plus d'attention que je l'aurais pensé. Lorsque j'eus terminé celui-ci, elle me jeta un regard compatissant et m'adressa une gentillesse à laquelle je répondis par un sourire. Nous venions de franchir les portes de l'Academy, et comme je l'avais prédit plutôt, le vieux gardien nous avait adressé un regard peu amène. Néanmoins, lorsqu'il avait aperçu la beauté surnaturelle de Minuit, qui se découpait à la lueur de la Lune qui pointait, il avait bien vite changé d'attitude, nous adressant un sourire enjôleur. Je riais intérieurement à cette tentative de charme. Il n'avait véritablement aucune chance face à ma nouvelle amie vampire. Cette dernière était effectivement capable, j'en étais certaine, de mettre le moindre petit mortel à ses pieds. Cette technique, je l'avais lu dans certains romans d'horreur, était bien utile à ces créatures de la nuit pour approcher leurs futures victimes. Elles étaient si resplendissantes et fascinantes qu'il était, ô combien difficile, de résister à leurs atouts.

Après que le silence se fut installé durant quelques secondes, Minuit le brisa, me questionnant de sa voix cristalline, aussi efficace qu'une flûte de charmeur de serpents.

"As-tu quelque chose chose d'important à faire ce soir ?"

Je fus légèrement déstabilisée par sa question, mais y répondis néanmoins avec franchise et ironie.

"A moins que tu ne considères que prendre une douche et se pelotonner dans son lit à attendre que le sommeil me gagne soient des choses importantes... A part ça, je n'ai rien de prévu, pourquoi?"

J'étais plus à l'aise avec ma nouvelle connaissance, ne ressentant plus aucune peur, mais désormais de la curiosité.

Lorsque le vieil homme m'adressa l'un de ses sourires charmeurs, je me contentai de rire sous cape, sans même lui relancer un seul regard. J'avais fini par m'habituer à ce genre de comportement; n'était-ce pas l'atout à la fois le plus efficace et le plus subtile que nous possédions pour chasser, nous, créatures surnaturelles de ce pauvre monde ? Adolescents, jeunes adultes et même grand-pères me courraient après avec la seule force de leur regard. Je pensai un moment à m'approcher du gardien et à m'en nourrir avec grâce. Cependant, cela n'aurait pas été très polie pour ma future invitée. D'ailleurs, cette dernière annonça, avec un sourire cette fois, que ses plans pour la soirée n'en seraient pour le moins bouleversés si elle ne se rendait pas à sa chambre immédiatement. Attendre que le sommeil la gagne... Avait-elle du mal à s'endormir la nuit ? Si c'était le cas, je me réjouis à cette idée: une raison de plus pour lui proposer mon offre.

Je lui jetai un coup d'oeil mystérieux, le sourire en coin.

"Suis-moi."

Enjouée, je pris son bras et l'entraînai à travers les inombrables rues et intersections. Je me doutais bien qu'elle devait être encore plus perdue qu'elle ne l'était tout à l'heure, et qu'en plus de cela l'éclairage était tel que ses pupilles avaient surement du mal à percevoir la moindre parcelle de lumière. Après un moment, nous arrivâmes à l'entrée d'un vieux bâtiment de briques, où, là aussi, étaient plantés pas un mais bien deux hommes d'imposante carrure. Au dessus de la porte se trouvait un panneau équipé de néons qui formaient le mot HELLFANGS.

"Nous voilà arrivées. Viens, je vais te faire visiter."

Sur ce, je fis signe à Anthéa de rester près de moi tandis que je me dirigeais avec assurance vers les gardiens.

[HJ: Tu poursuis dans la catégorie Hellfangs ? ^^]

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